Le Tigre a changé mon existence

ushuaia_tigre2-copieLes empreintes sur la piste, les traces sur les arbres, la forêt qui s’affole … Et puis la rencontre tant attendue. A48 ans, Gérard David a réalisé son rêve : surprendre le grand félin dans la jungle indienne. Une expérience qui l’a bouleversé. Devenu guide, il espère que le tourisme permettra de mieux protéger l’espèce. C’est l’histoire d’un grand rêve. Quand Gérard David reçoit, enfant, Le Livre de la jungle, de Kipling, il ne se doute pas de la révélation profonde que sa lecture produira en lui. Après maints voyages imaginaires, il s’envole, en 2002, pour le coeur de l’Inde. L’électrochoc. Moins de trois ans après, il tire un trait sur ses vingt ans de carrière dans l’industrie informatique et se réoriente vers le voyage et la photographie. Devenu aujourd’hui guide naturaliste, nous le rejoignons sur les traces de l’animal à l’origine de sa métamorphose : le tigre.

Tigre-border« Avec le tigre, vous pouvez être convaincu d’une chose : si vous, vous ne le voyez pas toujours, lui vous voit ! » Passionné, le photographe se remémore l’émotion de sa première rencontre. « Après quatorze heures de vol, dix-neuf heures de train et quarante-cinq minutes de 4×4, j’étais arrivé épuisé à mon lodge, juste à l’extérieur du Bandhavgarh National Park, l’une des 25 réserves de tigres que compte l’Inde. Deux options s’offraient à moi : soit la récupération autour d’un bon petit-déjeuner, soit les tigres. Je n’ai pas hésité. Les contraintes du véhicule et du chauffeur résolues, un guide naturaliste m’a été détaché par le parc. » Une nécessité, non seulement pour guider le visiteur et lui expliquer la jungle, mais aussi pour s’assurer de son comportementà?à Le tigre est devenu trop rare pour qu’on néglige sa sécurité ! L’immersion est immédiate, sans transition. « En quelques minutes, je suis passé des petits villages alentours à une jungle dense, épaisse, aux bruits non familiers. Sans y être préparé, j’ai été surpris par mon premier tigre ! Là , alors que j’arrivais seulement et qu’aucun ne recroiserait plus mon chemin pendant les trois jours suivants. En cet instant de magie, j’ai oublié la fatigue aussi vite que le réflexe photo m’a saisi. » Ce premier tigre, immortalisé ainsi sur la pellicule, dans une aube pâle accentuant encore ce sentiment d’irréel, ne fait que confirmer le début d’une longue quêteà?à La lumière du jour qui, progressivement, se lève découvre la forêt et ses animaux. Les cris, les sifflements, les hurlements résonnent. « Avant de voir, on entend toujours. C’est ça, la jungle. Et quand le tigre rôde, tout s’amplifie, tournoie dans les airs. La panique du monde animal s’élève dans la brume ; elle devient si forte qu’elle en est presque palpable. La jungle tout à coup se révèle, tandis que vous êtes aux aguets ; vous cherchez des marques de griffes sur les arbres, des empreintes de pas sur la piste ‘ le tigre, en bon félin, aime son confort : entre les épines des broussailles et le sable doux des pistes, il n’hésite pas !».

03LIVRE JUNGLEQuand l’empreinte apparaît, la satisfaction n’est pourtant pas encore au rendez-vous. Il faut l’identifier : date-t-elle de quelques jours ? quelques heures ? quelques minutes ? S’agit-il d’un mâle ? d’une femelle ? De même pour le marquage des arbres : ce sont là encore des traces que l’on apprend à lire. C’est une émotion pure. Le temps n’a plus de valeur. On guette, on surveille, on traque. Les sens sont en éveil. « Quand le tigre se révèle, c’est un cadeau de la nature. Il ne faut jamais rien attendre. Ne jamais croire que tout est dû. Traquer le tigre, c’est accepter l’incertain, l’aléatoire. » Il faut se montrer patient, silencieux et ne pas rouler vite ‘ surtout pas, on est sur son territoire et on se doit de le respecter ! Peu à peu la chaleur monte. Le jour est bien à ; et la brume n’est plus. Il reste encore quelques heures avant la pause. En début d’après-midi, en effet, plus rien ne sert de guetter, ni de tendre l’oreille : la jungle se reposeà?à « Plus tard, on reprend le chemin des pistes. On est à jusqu’au couchant. Et ces journées sont extraordinaires. Sans cesse un oiseau ou un singe vous surprend. La jungle est si codifiée ! Elle s’apprend patiemment. Chaque heure à une couleur ; chaque tigre ses taches. Tout s’appréhendeà?à » En ces premières minutes du premier jour de son premier voyage en Inde, Gérard David avait identifié un jeune mâle de 18 mois. Il s’en souvient avec d’autant plus d’émotion qu’il a revu ce même tigre en novembre dernier. Toujours dans le Bandhavgarh National Park. « Cela faisait trois jours que je guettais un grand félin. Trois jours infructueux. La fin de l’après-midi s’annonçait et, avec elle, la résignation d’avoir passé une nouvelle journée à l’affût sans succès. La jeep roulait doucement, comme toujours. Soudain, sur la piste, le guide signale ce qu’il prend de loin pour un sambar. On s’approche : c’est un tigre. Un mâle. On s’approche encore et je reconnais les taches : c’était le premier tigre que j’avais vu, avec quelques années de plus. Il commençait à disputer le territoire à son père. La jeep arrêtée, on le voit se lever et se mettre à tourner autour de nous.
Challenger_5_travaill__eA une distance respectable, 8, 10 m au plus. On se regarde dans les yeux là : inoubliable ! Il se frottait aux arbres ou urinait pour marquer son territoire. » Dans ces moments-là , la jungle a peur, et les hommes sont en état de libération spirituelle. L’alerte a sonné. « Le cri des chitals, des sambars, le hurlement des langurs, soudain tout s’intensifie, se mélange. Moi, je m’émerveille de la rencontre, de ces retrouvailles, de la magie du hasardà?à » Pendant quarante minutes le tigre l’a approché ‘ car les rôles peuvent s’inverser. Gérard continue, ému. « Le lendemain, j’ai appris qu’un tigre s’était pris accidentellement dans un piège à sanglier à l’extérieur de la réserve, à l’entrée d’un village. Des vétérinaires devaient venir pour lui retirer le collet qui lui restait autour du cou ; il risquait de s’étrangler en s’accrochant à une branche. Ce tigre, c’était le ‘mien’, celui que je venais de retrouver.
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Celui-à même qui avait tourné, curieux et patient, autour de mon véhicule ; celui avec lequel une complicité s’était créée. C’est seulement en regardant mes photos, une fois développées, que j’ai aperçu l’ornement malencontreux du tigre et que j’ai compris. » Piège accidentel, alors ? Oui, cette fois-là . Mais dans nombre de cas, la chasse, bien qu’illégale et sévèrement réprimée par les autorités, est encore si fatale aux tigres ! Gérard mise alors sur le tourisme. « Il faut que nous, touristes, fassions prendre conscience de l’intérêt à sauvegarder ce patrimoine. Abattu, un tigre représente une grosse somme, c’est incontestable ; mais vivant, il fait vivre non pas juste des trafiquants, mais des chauffeurs, des cornacs, des guides, des vétérinaires, une équipe administrative, des propriétaires de maisons d’hôtes, de gîtes, de campements, leurs employés, toute leur famille ! Plus nous serons nombreux à nous rendre dans ces réserves, plus la survie des tigres représentera un poids économique important. C’est de cette façon que l’on peut contribuer à les sauver. En dynamisant suffisamment toute une micro-économie pour que leur chasse devienne non seulement condamnée mais de surcroît moins intéressante que la lutte pour leur protection.» à quand, le prochain voyage, alors ? « Dès Janvier et je suis impatient ! »

© Aurélie Tapin – Ushuaia Magazine

Les règles d’or Patience, silence et acceptation si on ne voit pas le grand félin.

L’équipement photographique « Les gros téléobjectifs ne sont pas très utiles. La jungle est dense, et croire qu’il est possible de prendre un tigre en photo à grande distance est utopique. En argentique, l’objectif maximum que l’on peut retenir est un 300 mm. Si on fait le choix du numérique (plus souple, lorsque l’on doit changer de sensibilité), un 70/200 stabilisé est idéal. On peut alors se mettre en sensibilité élevée et opter pour une grande vitesse de déclenchement. L’idée est de ne jamais perdre de vue que le matériel doit rester relativement léger pour ne pas devenir une entrave à notre mobilité. »

Épilogue : Moins de 15 Jours après cette rencontre et ces images , Challenger affrontera son père, B2,lors d’une querelle de territoire. Il sortira du combat grièvement blessé. Les gardes retrouveront sa dépouille ,gisant  non loin de là, mort . Il restera à jamais dans ma mémoire.